Condoléances d’Adam Michnik
Hommage a Cornelius Castoriadis
La nouvelle de la mort de Cornelius Castoriadis jette un voile de chagrin sur le monde. Sont en deuil en cet instant tous ceux qui aimaient et admiraient Cornelius, et tous ceux qui s’estiment ses débiteurs.
Cornelius était pour moi un homme légendaire avant même que je ne le rencontre personnellement en cet été de 1990 à Mexico City, où nous avons passé quelques jours avec Octavio Paz, Czeslaw Milosz, Leszek Kolakowski et Bronislaw Geremek. Il était l’un des rares intellectuels de gauche - comme George Orwell ou Albert Camus - qui soulignait inlassablement les dangers de la dictature communiste et ceci avec grand courage et précision. Vu de Pologne Castoriadis était un fervent allié des combattants de la liberté dans leur lutte contre une dictature barbare.
Car, face au silence de la lâcheté et de l’hypocrisie, pêché historique de la gauche européenne, Cornelius Castoriadis était celui qui a sauvé notre honneur pendant les années difficiles - l’honneur des ennemis du communisme qui avaient précisément des racines dans la gauche.
Se vie a été un acte permanent de désaccord avec un monde dans lequel dominent la violence, le mensonge et l’injustice. Il a analysé et mis au jour à juste titre le mal dissimulé dans le colonialisme et le système d’injustes privilèges sociaux, dans toutes les dictatures, indépendamment de leur couleur politique, et dans le fanatisme, le racisme et l’obscurantisme.
Sa personnalité forte et libre échappe à toute catégorie idéologique. En condamnant les dictatures fascistes et le conformisme philistin, le communisme sous Staline et l’hypocrisie de la gauche européenne il parlait toujours sa propre langue et il a créé un univers entier selon ses propres normes et valeurs.
Cornelius savait restituer merveilleusement le prestige des valeurs oubliées telles que la véritê l’honneur et la liberté. Il était le symbole de la protestation contre le mensonge et le gardien de la flamme sacrée de la liberté. Ce Grec de Paris, ce cosmopolite, cet Européen et critique sévère de tout conformisme collectif, était, d’une certaine manière. un esprit inexorable, comme un autre Grec célèbre, Socrate. Cornelius nous a dit la vérité sur nous-mêmes comme l’a fait Socrate. C’est la raison pour laquelle nous pleurons la mort de Cornelius comme devaient pleurer ses amis dans l’Athènes antique la mort de Socrate - éprouvant du chagrin parcequ’il est mort et éprouvant de la joie parce qu’il reste toujours vivant. Sans Cornelius rien ne peut plus être comme avant.
Adam Michnik