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L’ontologie politique de Castoriadis - Création et institution

Poirier Nicolas, 2011, Paris, Payot, 491pp.

Poirier Nicolas38 L’ontologie politique de Castoriadis

Dans l’esprit du temps, redonner sens à l’idée démocratique, en y voyant la manifestation de la réflexivité politique par où la société met en question son institution, ne va pas de soi. Qu’il s’agisse des conservateurs ou de certains marxistes, les critiques contemporaines de la démocratie rivalisent dans la confusion qui consiste à identifier "le politique", en tant que dimension du pouvoir institué qui existe dans toute société et "la politique", comme agir, comme activité de mise en question de l’institution, selon les visées de sa transformation. 

C’est précisément cette confusion qu’une pensée critique comme celle de Cornélius Castoriadis permet de réfuter. En effet, son œuvre met en valeur le sens véritable de la démocratie qu’il faut entendre comme ce projet révolutionnaire où la société, dans l’action même, découvre qu’il est possible d’entretenir avec elle-même un rapport réflexif, indissociable de son institution. Rapport qui lui permet de ne pas aliéner à une instance extra-sociale - le divin, les lois de la nature ou celles de l’économie capitaliste - sa créativité.

 L’objet du livre de Nicolas Poirier est de proposer une interprétation nouvelle de l’œuvre de Castoriadis, en cherchant à comprendre dans quelle mesure l’institution démocratique doit s’ouvrir au chaos créateur qui ne cesse de la travailler, la société instituante se créant en permanence comme société instituée et comme reprise de cette dernière. L’analyse d’un certain nombre de textes philosophique de Castoriadis, restés longtemps inédits, permet de saisir la cohérence d’un parcours intellectuel et politique marqué par la volonté de donner un contenu tangible à l’idée d’émancipation. Cohérence qui ne doit pas occulter les moments de rupture : alors qu’au départ, Castoriadis posait le problème de la création à partir de la notion marxienne de praxis, en vue de faire ressortir l’historicité radicale du sujet, il va par la suite repenser  l’ontologie traditionnelle en référence à la pensée grecque. Ainsi sera-t-il conduit à appréhender le phénomène de l’historicité en tant que chaos et à dégager le sens du projet démocratique qui consiste pour la société à mettre en question ses lois dans un mouvement d’auto-institution explicite, à portée universelle. 

C’est dans ce cadre que sont pour la première fois confrontées les pensées de Cornelius Castoriadis et de Claude Lefort. Si ces derniers convergent pour redonner sens à une pensée politique critique, à partir d’une lecture nouvelle du fait démocratique, ils se séparent à propos de la question du pouvoir. Alors que Lefort s’emploie à montrer que l’agir démocratique ne peut se déployer qu’en référence au clivage originaire qui traverse le social, Castoriadis va défendre l’idée qu’une politique de l’émancipation doit avoir pour but principal l’abolition de la division entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le contestent. Refusant de séparer la question du psychique et celle du social, Castoriadis cherche à penser en référence à la psychanalyse le sens d’une dynamique individuelle et politique de l’émancipation, ou mouvement de reprise permanente, de telle sorte que le sujet et la société parviennent à entretenir avec eux-mêmes un rapport réflexif.  Aussi la réflexion que poursuit Nicolas Poirier dans ce livre permet-elle de saisir la signification de la politique comme l’union et la tension de la création et de l’institution, au sens où ce qui tend à se clore et à se répéter est  inséparable de ce qui vient briser la clôture et créer du nouveau.   

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